J'ai une grande nouvelle triste à t'annoncer.Je suis mort.Je peux te parler ce matin parce que tu somnoles,que tu es malade,que tu as la fièvre.Chez nous, la vitesse est beaucoup plus importante que chez vous.Je ne parle pas de la vitesse qui se déplace d'un point à un autre,mais de la vitesse qui ne bouge pas,de la vitesse elle-même.Une hélice est encore visible, elle miroite.Si on y met la main, elle coupe.Nous, on ne nous voit pas, on ne nous entend pas.On peut nous traverser sans faire de mal.Notre vitesse est si forte qu'elle nous situe à un point de silenceoù on ne peut pas se débrouiller.Et de monotonie.Je te rencontre parce que je n'ai pas toute ma vitesseet que la fièvre te donne une vitesse immobile,rare chez les vivants.Je te parle.Je te touche.C'est bon de relief.Je garde encore un souvenir de mon relâche.J'étais une eau qui avait la forme d'une bouteilleet qui jugeait tout d'après cette forme.Chacun de nous est une bouteille qui imprime une forme différenteà la même eau.Maintenant, retourné au lac,je colle la bord à sa transparence.Je suis nous.Vous êtes je.Les vivants et les morts sont prêts et loin les uns des autres.Comme le côté pile et le côté face d'un sou.Les quatre images d'un jeu de cubes.Un même ruban de clichés déroule nos actes.Mais vous,un mur coupe le rayon et vous délivre.On vous voit bouger dans vos paysages.Notre rayon, à nous, traverse les murs.Rien ne l'arrête.Nous vivons épanouis dans le vide.Je me promenais dans les lignes.C'était le petit jour.Ils ont dû m'apercevoir par une malchance,un intervalle,une mauvaise plantation du décor.......J'ai dû me trouver à découvert, stupide comme le rouge-gorgequi continue à faire sa toilette sur une branchependant qu'un gamin épaule sa carabine.J'arrangeais ma cravate.Je me ***ais qu'il allait falloir répondre à des lettres.Tout à coup, je me suis senti seul au mondeavec une nauséeque j'avais déjà eue dans un manège de la foire du trône.L'axe des courbes vous y décapite,vous laisse le corps sans âme, la tête à l'envers,et loin, loin,un petit groupe restait sur la terre au fond d'atroces miroirs déformants.Je n'étais ni debout, ni couché, ni assis,plutôt répandu,mais capable de ***tinguer ailleurscontre les autres.Les sacs, mon corps,comme un costume mouté la veille.Surtout, que j'avais souvent remarqué à Paris,dans ma chambre, au petit jour,cet air fusillé d'une chemise.J'avais cet air-là de vieux costume,de chemise par terre, de lapin mort,sans l'avoir, puisque ce n'était pas moi,comme la chambre à laquelle on penseet la même chambre à laquelle on pense.La chambre dans laquelle on se trouve.Alors, j'eus conscience d'être la fausse chambreet d'avoir franchi par mes gardesune limite autour de laquelle les vivants,sans lâcher prise,arrangent leur jeu dangereux.Avais-je lâché prise ?Je me sentais sorti de la chambre,sorti de la ronde,débarqué, en somme,et seul survivant du naufrage.Où étaient les autres ?Je te parle de tout cela,mais sur le moment,je ne pouvais les situer,ni toi, ni moi,ni personne.Une des premières surprises de l'aventureconsiste à se sentir déplié.La vie ne vous montre qu'une petite surfaced'une feuille pliée en grand nombre de fois sur elle-même.Les actes les plus factices,les plus capricieux,les plus fous des vivantss'inscrivent sur cette surface infirme.Intérieurement, mathématiquement,la symétrie s'organise.La mort seule,déplie la feuille,et son décor nous procure une beauté,un ennui mortel.Constater cela me supposesortie du système.Il est donc anormal que je constate.Je ne constaterai plus dans quelques temps.Ce temps représentera-t-il chez vous une seconde ?Ou plusieurs siècles ?Bientôt, je ne comprendrai plus ce que je suis.Je ne me souviendrai plus de ce que j'étais.Je ne viendrai plus parmi vous.Oh !Solitude.Nageur noyé.Déjà, je fonds.Déjà, je suis écume.Déjà, je suis écume.Tu sais, j'ai peine à trouver des mots qui répondent aux choses que j'éprouve.Aucune puissance ne m'a défendu cet essai d'éclaircir les mystères.Mais je me sens un drôle de coupable.Car je suis déjà l'organisation que je dénonce.Et je ris moi-même,comme les affiliés se voyant trahis par un novice mal au courant de leurs secrets.Tellement j'ai de peine à expliquer ma pénombre.Mais du reste,ce que je te raconte n'est-il pas un simple refletde ce que tu penses ?Je ne *** pas cela pourconstruire autour de toiun piège en glace.Je m'exprime encore trop humainementpour ne pas me méfier de moi.Ce qui t'étonne,c'est que je te parle comme tes livres.Que je sache si bience qu'ils contiennent.J'étais de ceux qui doutent.Tu ne me grondais pas.Tu ne m'expliquais pas.Tu me traitéscomme un enfant,comme une femme.J'étaisnaïvementton ennemi.Je te demande pardon.C'est pour te demander pardonque je fais l'étrange effort d'apparaître.La poésie ressembleà la mort.Je connais son œil bleu.Il donne la nausée.Cette nausée d'architectetoujours taquinant le vide.Voilàle propre du poète.Le vrai poète est comme nous.Invisible ou vivant.Seul ce privilègele ***tingue des autres.Il ne rêvasse pas.Il compte.Mais il avancesur un sable mouvant etquelquefoissa jambe enfoncejusqu'à nous.Maintenantje dénombre tes mécanismes.Je comprends ta pudeurque je confondaisavec ma nuit.Avec le publicj'ai souvent pris pour des ébauchesdes pages ***crètescomme des blocs de quartzoù l'eau solide penseune formedont un angle seul apparaît.Et tes givrestes décalcomaniesce mot de l'énigme écrit à l'encresur une feuille pliée vite en deuxet que tu ouvresne comptent non plus qu'un catafalque.Et ***-moilorsque les naufragésdu ville de Saint-Nazaireracontent qu'ils virent tousla nuit en pleine merun casinoavec des marchesdes lampionsdes massifs de lauriers rosesla merla brume et la faimne firent-ils pasœuvres de poètes ?Voilà qui ne relève pasde cette hallucination individuelleque te reprochetant d'aveuglesmais ces gens de la felouqui étaient accordés par la souffrance.Je ne souffrais pasde mourir.Maintenantma souffrance est celle d'un hommequi rêve qu'il souffre.Ce rêveest généralement provoquépar quelquedouleur.Tout celatout cela s'apparenteau tourdont je viens d'être victime.On dirait quec'est un vieux mort qui te parle.Il est si tôtque la relèvene m'a même pas encore trouvé.Je suis aussiauprès de ma mère.Je te vois dans ton litet je me voisdans la posed'un homme myopequi cherche son lorgnonsous un meuble.Je commenceà me ***soudre.Pour que tu comprennesqu'il faudraitmultiplier à l'infinile mensonge que faitune boulette qu'on rouleavec le bout de ses doigtscroisés l'un sur l'autre.Je voudraisqu'on me ***edepuiscombien de tempsje suis mort.Sous-titres par Juanfrance