Connaissiez-vous voilà vingt ans, ce vieux forbant de Jonathan,
qui bourlinguait par tous les temps aux quatre coins des Caraïbes ?
Il vient de rentrer de là-bas, après bien des hauts et des bas,
pour ouvrir un café-tabac qu'il a nommé les Caraïbes.
C'est ce bistrot aux vitres sales qui sera sa dernière escale,
c'est là qu'il a posé son sac, juste au coin de la rue du Bac, la rue du Bac.
Bien installé à son comptoir, quand il y va de son listoir,
il fait rêver son auditoire, un petit cercle de poivrons notoires.
Il parle et vous fermez les yeux, comme aveuglé par tousse bleue,
surtout droitement d'or et de feu, qu'est le soleil des Caraïbes.
Il a souffert tous les climats, crevé de fièvre à Panama,
il a bu les derniers trois mâts, cinglé rovant des Caraïbes.
Avec un charme incomparable, un talent de compteur arabe,
il lit le chant des boucaniers, grimpe en pieds nus dans les uniers, dans les uniers.
Puis il s'endort dans son hamac, bercé par le chant du ressac,
car après cinq ou six cognacs, les cocotiers sont dans la rue du Bac.
Tant que les clochards du quartier auront plaisir à l'écouter,
autant que lui a raconté, il parlera des Caraïbes.
Car c'est ainsi qu'il est heureux, il essaie se contenter de peu,
et vit dans son café miteux, comme il vivait aux Caraïbes.
Une opulente mulatresse lui sert de bonne et de maîtresse,
et lui a donné si loupio de toutes les couleurs de peau, couleurs de peau.
Couleurs de peau, couleurs de peau.
Avant de tomber ivre mort, il montre au loin les feux du port,
il est toujours seul maître à bord, et son bistrot c'est son îlot trésor.
Connaissiez-vous voilà vingt ans, ce vieux forban de Jonathan,
prolongué par tous les temps, aux quatre coins des Caraïbes.
Il vient de rentrer de là-bas, après bien des hauts et des bas,
pour ouvrir un café d'abas, qu'il a nommé les Caraïbes.
Couleurs de peau, couleurs de peau.